BOSSEUR Jean-Yves, "Vocabulaire des arts plastiques", Ed. Minerve, 2008, 2014, 2018, 226 p.
MULTIPLES p.140
A partir des années 1960, le souci d'une diffusion élargie au nom d'une démocratisation de la culture conduit les plasticiens à concevoir des tirages de leurs travaux. Cela permet de contourner le problème de la spéculation qui frappe l'oeuvre unique.
Joan Miro s'entretien avec Georges Charbonnier dans "Ecrits et entretiens", Lelong, 1995, 347 p. :
"Je suis contre la reproduction des tableaux. J'estime qu'un tableau doit rester une chose unique.
G.C. : Pourquoi ?
J.M. : Parce qu'une reproduction est une chose morte. On ne peut imiter le grain de la toile.
G.C. : Et si l'on y parvenait ?
J.M. : On n'y parviendrait pas.
De toute façon, ce serait détourner la toile de osn but. Il ne faut pas perdre de vue le fait qu'un tableau est une manifestation individualiste. Le tableau, lui aussi, porte l'empreinte du pouce, l'empreinte humaine que l'on ne saurait remplacer par l'empreinte de la machine. Jamais."
Victor Vasarely voit dans le multiple une chance pour que l'oeuvre ne soit plus confinée dans les espaces des collections privées et des musées, et qu'elle puisse exister dans des lieux publics non réservés à l'art : "L'oeuvre d'art ne se définira plus comme l'unique source complexe de délectation pour de rares privilégiés, (...) mais comme omniprésence des stimuli plastiques renouvables, quotidiennement nécessaires à l'équilibre de tous. (...) Les reproductions sont du domaine du musée imaginaire, nous informant des arts du passé, et constituent un des véhicules les plus importants de la culture. Mais, vivant ou mort, l'artiste n'intervient pas. Par contre, les recréations sont des oeuvres authentiques d'artistes contemporains, exécutées sous leur direction, (...). Elles ne diffèrent des oeuvres plastiques que par leur nombre (...). Il ne faut pas que les faux envahissent le domaine des arts, comme ils ont envahi l'ameublement. L'imitation de l'ancien sous forme de fabrication en série relève du faux et son règne est l'une des aberrations de notre société.
Un pas étant franchi, néanmoins une constatation s'impose : aujourd'hui, nous ne vivons que l'enfance des multiples. Nos sérigraphies restent encore - par leur conception- des gravures et lithos des prédécesseurs. Il s'agit toujours des "beaux-arts", de "l'art pour l'art" dans le circuit élargi de la fonction poétique. Simplement, à la place d'un unique tableau sur le mur d'un unique amateur, nous voyons maintenant cent tableaux semblables sur cent murs de cent amateurs différents." "Le Multiple", "Plasti-cité, l'oeuvre plastique dans votre vie quotidienne", pp. 107-108.
Jean Fautrier envisage dans les années 1950 la production des "originaux multiples". Des estampes sont réhaussées à la main, avec du pastel ou de la gouache, de manière légèrement différente pour chacune. Ces ajouts ne sont pas nécessairement réalisés par l'artiste lui-même, qui donne des indications préalables et choisit les épreuves à conserver.
Öyvind Fahlström invente en 1962 les "variable paintings", où des reliefs magnétiques peuvent être manipulés par les spectateurs sur des surfaces métalliques. C'est une manière d'introduire la notion de jeu et de transgresser les critères de valeur associés au geste sacralisé de l'artiste.